Toutes ces rougeurs et corps mutilés, des lueurs vertes apparaissent, fait-il remarquer, pour indiquer que l’horizon n’est pas complètement bouché.
Exposition-dialogue : L’hommage de Barthelemy Toguo à Bruly Bouabré
« Abidjan m’a tout donné (…) L’Afrique a besoin de nous. Et surtout de sa diaspora pour lui redonner une partie de tout ce savoir acquis en occident », a déclaré l’artiste Barthelemy Toguo, le 20 juillet 2017, à la Rotonde des arts, d’Abidjan-Plateau, au vernissage de l’exposition-dialogue où il rend hommage à Frédéric Bruly Bouabré décédé, en janvier 2014.
Dans la scénographie de cette exposition, ce sont les œuvres de Bruly Bouabré qui accueillent le visiteur. Cet écrivain, penseur, dessinateur et inventeur de l’alphabet Bété et auteur d’une écriture spécifique pour sauver de l’oubli la culture du peuple Bété. Plus en profondeur, le visiteur est soumis à autant de réflexions face à l’installation de Barthélemy Toguo. A propos de qui, le Professeur Yacouba Konaté, président honoraire de l’Association internationale des critiques d’art (Aica) a dit « sans exagération aucune » qu’il compte parmi les 20 personnalités les plus marquants de l’art contemporain dans le monde…
Poursuivant, le Pr Konaté affirme que c’est à l’occasion de la Biennale d’art contemporain de Dakar en 98 qu’il s’est rendu compte que la créativité de Toguo le conduira au sommet. « Toguo est venu avec un tampon géant qu’il avait sculpté. Et sur lequel il était marqué carte de séjour. Il était le premier artiste à l’époque à pouvoir faire et à savoir faire des performances qui marchaient. On peut essayer de faire des performances, ça ne marche pas toujours », a-t-il témoigné.
Cette performance, dira-t-il, a consisté à caresser le tampon qui avait une forme humaine. Et cela pour indiquer comment la diaspora africaine avait du mal à obtenir ce fameux tampon qui leur donnait le droit de vivre dans la légalité en France. « A partir de ce moment, il a été un embrayeur de l’art contemporain non seulement en Afrique mais dans le monde », a affirmé le Professeur Konaté.
Autre motif de respect pour cet artiste, c’est le fait de construire un centre d’art au Cameroun où il dispose des œuvres des grands maitres de l’art universel. « Des collectionneurs africains, je pense qu’il a l’une des collections les plus impressionnantes… », a confié le Professeur Konaté. Et d’ajouter : « Je voudrais le saluer pour cette sorte de « cahier d’un retour au pays natal » qu’il signe en créant chez lui au village un centre d’art ouvert aux populations ».
A travers cette exposition qui est un projet nourri par le muséologue Yaya Savané, décédé le 26 avril 2014, c’est un hommage à ce dernier. « Je suis content de pouvoir lui donner une vie (…) On a la chance que nos rêves vivent plus longtemps que nous. On a aussi la chance que nos amis, nos enfants portent nos rêves », s’est-il réjoui.
A propos de sa démarche artistique, il faut souligner que son travail consiste à animer une frise. « Ce sont des frises de 10 mètres. La frise au début est toute blanche, vierge, pure. Au fur et à mesure qu’il s’en approche, c’est toujours amusant de voir comment, il la guette. Ne sachant pas par quel bout commencer… C’est vraiment l’angoisse de la page blanche. Et quand il finit par toucher à la frise, on voit de proche en proche que la frise crache du sang, des couleurs rouge et rosée. Cela nous renvoie à tout ce décor critique, violent que l’Afrique connait depuis les années 80 », explique le Professeur Konaté.
Malgré toutes ces rougeurs et corps mutilés, des lueurs vertes apparaissent, fait-il remarquer, pour indiquer que l’horizon n’est pas complètement bouché. Et qu’il faut apprendre à vivre ensemble et à assumer notre histoire de violence…
CHEICKNA D. Salif