« Qu’on offre, à une des populations qui est la plus déshéritée du monde, un outil qui est le plus performant de toute la Côte d’Ivoire, je pense que ce n’est pas seulement un cadeau, c’est vraiment une exigence qui est à la fois éthique, politique, et qui est aussi artistique et nous renvoie au fondamental de l’art ». Dixit Yacouba Konaté.
Situé au Rond-point de la Marie d’Abobo et construit sur un espace de 3500 mètres carré, le Musée des Cultures Contemporaines Adama Toungara (MUCAT) a été conçu et réalisé par l’architecte ivoirien ISSA Diabaté. « Avec ce musée, on a seulement mis la barre très haut », tranche le Professeur Yacouba Konaté répondant à certaines critiques. « Ils ont tord », admet Yacouba Konaté. Moderne de part l’architecture, le bâtiment, est l’ « outil le plus performant de toute la Côte d’Ivoire ». Il sera inauguré le 11 mars 2020 à l’occasion de l’exposition panafricaine itinérante « Prête-moi ton rêve ». Suite et fin de l’interview.
Sur douze mois, cinq capitales africaines seront visitées en 2020 par l’exposition « Prête-moi ton rêve ». Est-il prévu, les années à venir, de toucher, par ce programme, d’autres capitales sur le continent ?
Nous disons cinq (capitales), mais, en fait, nous avons beaucoup de demandes. Il faut savoir que Antananarivo (Madagascar) veut qu’on y aille. Nous avons Cape Town (Afrique du Sud). Normalement, il n’était pas question qu’on m’envoie l’exposition à Abidjan. Je suis dans le projet, je suis l’un des derniers à être servi. D’ailleurs, après Casablanca, c’est à Abidjan qu’on devait venir. Puis, Dakar, voulant fêter le premier anniversaire du Musée des Civilisations noires avec l’exposition, je me suis éclipsé. On était prêt à aller à Cape Town, mais le premier lieu qu’on avait pressenti n’est pas disponible. Donc, nous sommes en train de chercher un autre (lieu). Si ce n’est Cape Town, ça peut être à Johannesburg. Aussi, nous avons le OK de Addis Abeba. Là, le problème qu’on cherche à régler, on a l’accord pour mettre l’exposition au siège de l’Union Africaine (UA). Mais, quand on discute avec les opérateurs culturels locaux, ils nous disent : « Ça va être trop diplomatique. Le public ne pourra pas venir voir ». C’est un lieu un peu à l’écart et le public pense que ce n’est pas un lieu où ils peuvent aller. Du coup, on se demande si on change de lieu, où irons-nous? Bref. Normalement, à partir d’ici (Abidjan), on ira à Lagos et on devrait terminer à Marrakech (Maroc), dans le cadre du programme qu’on appelait les capitales africaines de la culture. Ce que je constate, le programme a été déplacé, il va se tenir à Rabat, à la fin de cette année.
Nous sommes très demandés, même en Europe. Mais, le principe le l’expsoition est tel qu’on peut pas aller seulement dans (seule) une ville. Il en faut, au moins, deux ou trois. Puisque, le propos consiste à dire trop souvent on a montré les expositions d’artistes africains en Europe… Ce n’est pas notre priorité. Notre priorité, c’est de tourner en Afrique. Nous avons choisi les capitales et il fallu argumenter pour chacune d’elle. Ce qui compte, c’est d’avoir des réceptifs. Qui va t’accueillir dans la capitale. Il faut que le pays qui accueille mette les moyens pour qu’on y soit.
Outre la nuit des galeries, le programme d’Abidjan intègre un défilé de mode intitulé Foule Power1. Quel sera le contenu?
En fait, ce n’est pas que le défilé intègre le programme. Tu ne peux faire une exposition de dimension internationale comme une exposition ordinaire ! C’est vraiment la tradition dans les grosses expositions avec, à la fin, une fête. A Casa, quand on a fini, il y avait (ce qu’on appelle les fameux after) un spectacle de musique, à l’hôtel Casablanca qui est un hôtel mythique.
Ici, on avait le choix, puisque c’est le contexte du MASA de faire un « After ». Mais, on s’est dit qu’on va faire un spectacle qui va s’adresser aussi au grand public d’Abobo – de telle sorte que le grand public qui ne viendra pas voir l’exposition, le jour du vernissage, puisse savoir de manière plus évidente et ouverte que quelque chose de nouveau est en train de se passer dans le quartier d’Abobo. C’est pour cela qu’on a choisi un défilé de mode qui n’est pas un défilé conventionnel. De la même manière que l’art contemporain, ce n’est pas un art conventionnel. En ce moment, on voulait le faire en face du Musée (Ndlr; Rond point de la Mairie). Malheureusement, l’équipe qui est venue en repérage nous a dit : « Pour la mise en place, notre équipe c’est au moins 200, 300 personnes. On ne peut pas coexister avec exposition, le même jour, par ce qu’on sera à l’étroit ». L’idée, c’est de le faire dans la cour de la Marie.
A quelques jours de ce gros événement, quel appel souhaiteriez-vous lancer?
Que les populations à Abobo, les jeunes, les moins jeunes considèrent que Abobo est une très belle commune qui a joué – depuis longtemps – un rôle historique, dans le développement de la Côte d’Ivoire. Dans l’actualité ivoirienne, Abobo a beaucoup compté. C’est une cité qui est dans un essor d’embellissement, dans une dynamique créative. Il faut qu’ils accompagnent ce mouvement. Il faut qu’ils s’intéressent aux arts et à la culture, à toutes les innovations qui se mettent en place. Et, progressivement, ils verront que ça va apporter un label d’excellence au quartier. Ce qui sera bon pour leurs enfants. Parce que, quand on ouvre les expositions d’un certain niveau aux jeunes, ça les aide à cultiver ce que j’appelle « L’estime de soi ». Ce qui fait qu’ils se respectent eux-mêmes. Donc, nous travaillons pour que Abobo soit plus attrayant et que chacune des personnes qui habite à Abobo développe son estime de toi et apprenne à aimer son quartier.
Depuis l’érection, à Abobo, du Musée des cultures contemporaines Adama Toungara d’Abobo, les points de vue divisent et il revient qu’un Musée n’est pas ce dont la commune a véritablement besoin…
Ils ont tord. Ils ont tord. Ce n’est pas parce qu’on vit dans un quartier pauvre qu’on n’a pas droit aux formes les plus élevées de la culture. Ça n’a rien à voir. Mozart qui a joué pour les princes, n’était pas un prince au départ. Il faut vraiment que les gens comprennent : à Abobo, il y a une longue tradition de danse chorégraphique, il y a eu des musiciens qui sont sorti d’Abobo, de grands footballeurs sont d’Abobo. Tout le monde à droit à la culture. Pas seulement à la culture – j’allais dire populaire, la culture facile, pourrie, tout le monde a droit au meilleur. Qu’on offre, à une des populations qui est la plus déshéritée du monde, un outil qui est le plus performant de toute la Côte d’Ivoire, je pense que ce n’est pas seulement un cadeau, c’est vraiment une exigence qui est à la fois éthique, politique, et qui est aussi artistique et nous renvoie au fondamental de l’art.
Les gens qui disent que Abobo n’a pas besoin d’un musée, si vous entrez dan leur maison, vous verrez qu’ils ont une image de calendrier accrochée quelque part. Ce besoin du beau, ce n’est pas une affaire de riche ou de pauvre. Maintenant, avec ce musée, on a seulement mis la barre très haut. Petit à petit, il y aura un gros travail pédagogique qui va faire que les enfants d’Abobo, les jeunes d’Abobo vont rentrer progressivement dans le musée. Après un an, je suis sûr que vous viendrai me dire le contraire. Ceux qui le disent, ne savent pas ce que c’est un musée.
Musée ou Centre d’arts? Quelle terminologie conviendrait le mieux?
C’est un choix. A mon avis, un musée a une obligation de conservation, de collection. Et, Abobo [le Musée], aura des collections. Quand tu n’as pas de collections, tu ne peux dire que tu as un centre d’arts. Mais, quand tu as des collections que tu gères, indépendamment de toutes les activités qu’on peut avoir, tu peux prétendre au stade de musée. C’est vraiment la grosse différence. Et, il se trouve que Abobo [Musée] a un patrimoine artistique qui va être disponible tout le temps.
Source : ShowBizAfrique